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La souveraineté se construit : Enseignements africains de l’accord entre le gouvernement des États-Unis et Intel Corporations

« Un fleuve qui oublie sa source finit par s’assécher. » — Proverbe africain

L’annonce la semaine dernière selon laquelle le gouvernement américain est effectivement devenu l’un des plus grands actionnaires d’Intel Corporation va bien au‑delà d’un simple titre financier. Il s’agit d’un moment charnière dans l’économie mondiale. En convertissant stratégiquement 8,9 milliards de dollars de subventions en actions, les États-Unis ne se contentent plus de discours : ils entrent dans une nouvelle ère de capitalisme d’État stratégique. Ce n’est pas un sauvetage ; c’est un geste délibéré et calculé pour protéger les intérêts nationaux.

Cette action marque une rupture radicale avec les principes de marché libre traditionnellement défendus. Cela marque le passage d’une politique gouvernementale passive à une gestion économique active visant à accroître la résilience nationale. Mais réduire cette démarche à une simple lecture économique serait passer à côté de l’essentiel. Il s’agit d’un véritable signal géopolitique.

Les enjeux géopolitiques

L’action des États-Unis va au-delà de l’octroi de subventions à des entreprises nationales ; elle répond de manière réfléchie à l’évolution des dynamiques de puissance mondiale. Depuis de nombreuses années, la Chine investit énormément pour atteindre son autosuffisance technologique, en particulier dans le secteur des semi-conducteurs, dans le but de diminuer sa dépendance aux technologies occidentales. Ce développement est vu à la fois comme une concurrence économique et comme un défi stratégique pour la suprématie technologique et la sécurité nationale américaines.

Dans cette situation, Intel n’est pas une entreprise ordinaire ; elle est un atout stratégique crucial à l’échelle nationale. En tant que seule société américaine à effectuer à la fois des recherches avancées et la fabrication de puces de pointe, sa santé est étroitement liée à la suprématie technologique américaine. L’investissement du gouvernement américain traduit une prise de conscience pragmatique : dans le monde actuel, les secteurs critiques tels que les semi-conducteurs, l’IA et l’informatique quantique ne sont plus seulement des outils d’innovation, mais des armes d’influence.

Les développements récents témoignent d’une transformation du paysage international. La multiplication des pratiques de capitalisme d’État fait que la politique mondiale est désormais davantage façonnée par les priorités de sécurité nationale que par les forces du marché. On observe une tendance croissante à l’endiguement économique et à la concurrence, avec la généralisation d’outils tels que les subventions, les prises de participation et les contrôles à l’exportation.

L’impératif pour l’Afrique : passer de spectateurs à acteurs

Ce tournant représente une opportunité précieuse pour les dirigeants africains, les décideurs politiques et les entrepreneurs d’évaluer avec lucidité leurs propres orientations stratégiques. L’expérience américaine avec Intel illustre l’importance d’une implication active dans un monde multipolaire : la passivité n’est pas une stratégie viable. La véritable souveraineté s’obtient par un engagement délibéré et une protection constante.

Les discussions relatives à « l‘indépendance économique » de l’Afrique persistent, alors même que la dépendance envers l’aide étrangère, les importations de produits de base et les partenariats extractifs demeure, freinant ainsi l’émergence d’économies nationales solides et autonomes. Cette période constitue une opportunité pour réexaminer ces modèles. À ce sujet, j’ai expliqué plus tôt cette année que « le président Donald Trump est une bénédiction déguisée pour l’Afrique ». Pour que les États africains obtiennent une reconnaissance authentique à l’international, il est essentiel de considérer leurs secteurs privés non comme des adversaires, mais comme des partenaires essentiels dans la quête de souveraineté.

Mais concrètement, que cela signifie-t-il ?

  1. Restructurer le secteur privé : Les PME africaines, notamment dans les secteurs stratégiques comme la technologie, l’agriculture et l’énergie propre, doivent être considérées comme les piliers de la résilience nationale. Ils ne se limitent pas à leur rôle d’acteurs économiques ; ils jouent également un rôle déterminant dans la construction de la souveraineté nationale.
  2. Construire des marchés de capitaux fonctionnels : La souveraineté exige la propriété. Il est urgent de développer des marchés de capitaux locaux profonds, liquides et accessibles, permettant à l’épargne nationale d’être investie dans les entreprises nationales. Les citoyens doivent pouvoir investir et posséder les moteurs de leur propre économie.
  3. S’inspirer des modèles Asiatiques : Les trajectoires de développement de pays asiatiques tels que la Chine, la Corée du Sud, Singapour, la Malaisie, le Vietnam, etc. sont riches d’enseignements. Les gouvernements concernés ont mis en place des partenariats stratégiques avec le secteur privé, considérant des entreprises telles que Samsung, Hyundai ou Huawei comme des partenaires clés dans le développement de champions nationaux. Cela ne provenait pas uniquement du marché : c’était une stratégie délibérée et soutenue de l’État. En outre, les pays asiatiques ont établi des zones économiques spéciales efficaces, car elles étaient axées sur la performance, orientées vers l’exportation et rigoureusement contrôlées.

Tirer les leçons des échecs passés

Il est faux de prétendre que les États africains n’ont pas essayé d’appliquer certains éléments du modèle asiatique de développement dirigé par l’État après les indépendances. Avant les années 1990, période marquée par l’adhésion de nombreux pays africains aux Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) préconisés par les institutions de Bretton Woods et une orientation vers la privatisation et la libéralisation commerciale, il était courant que les gouvernements participent au capital d’entreprises privées, en particulier dans les secteurs du textile, de l’agroalimentaire et de l’énergie. Néanmoins, ces initiatives ont souvent abouti à des résultats limités.

Ces échecs sont principalement dus au fait que les initiatives de développement étatique n’ont pas réussi à transformer les attitudes, institutions et structures extractives héritées de la période coloniale. De plus, ces efforts sont fréquemment minés par des problèmes persistants : ingérence politique, corruption, absence d’indicateurs de performance clairs et utilisation des entreprises publiques comme instruments de favoritisme plutôt que de croissance économique. Ces pratiques subsistent dans plusieurs gouvernements africains aujourd’hui. L’essentiel est donc de construire un État efficace, orienté vers la performance, qui alloue ses ressources de façon stratégique et intelligente, plutôt que de simplement augmenter les investissements.

Conclusion : tracer notre propre chemin

La décision du gouvernement américain de convertir des subventions en actions chez Intel pourrait sembler anecdotique, mais ses répercussions sont à l’échelle mondiale. Elle met en évidence la corrélation croissante entre la puissance économique et la sécurité nationale. Pour l’Afrique, il ne s’agit plus d’être spectateur, mais d’explorer la possibilité de passer d’une observation passive à une implication stratégique et volontaire.

En investissant de manière stratégique dans nos propres secteurs critiques et en donnant au secteur privé les moyens d’agir via des politiques adaptées et des capitaux, nous pouvons préserver la source de notre « fleuve économique » et en rester les maîtres. Le monde n’attend pas. Il est temps de construire, de posséder et de sécuriser notre avenir commun.

Néanmoins, leçon à retenir ne se résume pas à seulement encourager l’investissement stratégique, mais à le repenser : il doit être dirigé par des gouvernements responsables et redevables, motivés par la volonté de répondre aux besoins de leurs citoyens. À ce titre, l’approche la plus pertinente doit être transparente, encadrée par des professionnels indépendants et axée sur des résultats commerciaux clairs et viables, dans l’intérêt stratégique national. Il s’agit d’être un actionnaire exigeant et avisé, non un propriétaire interventionniste.

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